IA : bulle en formation ou révolution durable ? (et comment s’y retrouver)
Publié sur openllmexlorer.app
Introduction
La question revient de plus en plus souvent : sommes-nous face à une bulle de l’IA, appelée à éclater avec fracas, à l’image de la bulle Internet du début des années 2000 ? Les investissements, les annonces spectaculaires et l’effervescence du marché nourrissent ce soupçon. Dans le même temps, les avancées techniques sont bien réelles et certaines applications créent une valeur tangible. Comment démêler l’emballement du durable ?
L’objectif de cet article est de poser un cadre clair : définir ce que recouvre la notion de bulle, établir l’état réel des technologies, identifier les usages qui tiennent la route, et surtout expliquer comment construire des solutions fiables sans se laisser emporter par des promesses excessives.
1) Qu’appelle-t-on « bulle » ?
Dans son acception simple, une bulle désigne une période où l’on investit massivement dans une technologie dont les retours sont inférieurs aux attentes à court terme. Le décalage entre montants engagés et valeur effectivement créée finit par se voir : les projets survendus, les modèles économiques fragiles et les surpromesses se corrigent, parfois brutalement. L’histoire d’Internet rappelle qu’après l’excès initial, le secteur s’est reconstruit sur des usages solides, non sans une phase de reflux.
2) AGI : horizon stimulant, réalité opérationnelle
L’AGI (intelligence artificielle générale) alimente l’imaginaire : un assistant universel, capable d’apprendre, de s’auto-améliorer et d’innover sans intervention humaine. Nous en sommes encore loin. Les progrès sont soutenus, mais le quotidien des organisations se joue ailleurs : sur des tâches circonscrites, avec des limites explicites et des critères de qualité mesurables. Il est donc plus productif de concevoir des parcours précis que d’espérer un « assistant qui sait tout faire ».
3) L’illusion de l’« argent facile » et les offres superficielles
L’effervescence actuelle a vu éclore une multitude d’offres d’« experts IA ». Certaines sont sérieuses et utiles ; d’autres, en revanche, surfacturent des automatisations élémentaires en leur donnant un vernis « intelligence artificielle ». Concrètement, une part non négligeable du marché consiste à enchaîner quelques étapes dans un orchestrateur (par ex. n8n, Zapier, Make) et à appeler l’API d’un modèle généraliste (type ChatGPT), sans réelle maîtrise des modèles, des données ni de la fiabilité en production.
Cette approche peut suffire pour un prototype limité, mais elle plafonne rapidement si elle n’est pas complétée par :
- une maîtrise des données (qualité, structuration, gouvernance, sécurité, minimisation)
- une ingénierie de fiabilité (tests systématiques, reprises sur incident, gestion des erreurs, idempotence des pipelines)
- des évaluations et mesures rigoureuses (qualité, latence, coûts par transaction, stabilité, traçabilité)
Sans ces fondations, on vend un assemblage fragile à un prix sans rapport avec l’effort réel ni la valeur technique. Cette inflation artificielle de promesses contribue directement à l’impression de bulle : trop d’annonces, trop peu de résultats durables.
3.1 Typologie des offres à faible valeur technique
- Automatisations « glue » rebaptisées R&D : enchaînement de nœuds standard + appel LLM, sans logique métier robuste, ni validations, ni observabilité
- « Assistants IA » génériques : interface chat rebrandée, prompts statiques, pas de sources citées, incapacité à gérer les cas limites
- Scraping opportuniste : promesse de « ratisser tout Internet » sans cadre juridique clair, maintenance fragile, données rapidement obsolètes
- Dashboards sans métriques utiles : absence de KPI métier (temps gagné, qualité effective), pas de seuils d’acceptation, donc pas de décision go/kill éclairée
3.2 Pourquoi ces approches plafonnent
- Sensibilité au contexte : les modèles varient selon l’historique, le prompt et les données injectées ; sans garde-fous, la qualité devient erratique
- Coûts imprévisibles : sans stratégie de contexte sobre, de cache et de routage de modèles, la facture dérive
- Dettes techniques : pipelines non testés, logs insuffisants, absence de schémas de sortie → incidents fréquents, diagnostics difficiles
- Intransférabilité : pas d’abstraction de fournisseur ni de critères clairs de bascule de modèle → lock-in coûteux ou paralysant
3.3 Ce qui doit réellement être facturé (et valorisé)
- Conception de données : schémas explicites, catalogage, politiques d’accès, minimisation des PII
- Fiabilité : validations en entrée/sortie, reprises, observabilité (prompts/réponses/coûts/latence), tests de non-régression
- Évaluation : jeux d’évaluation versionnés, métriques de fidélité factuelle, stabilité, refus justifiés, seuils d’acceptation
- Sécurité et conformité : cloisonnement, gestion des secrets, journalisation, DPIA/DPA le cas échéant
- Conception produit : parcours bornés, UX explicite (sources, incertitude, limites), modes dégradés prévus
C’est ce travail d’ingénierie et de produit qui crée la valeur durable, pas l’enchaînement de trois nœuds et d’un appel d’API.
3.4 Pourquoi la perception de « bulle » s’amplifie
Au-delà des offres superficielles, la perception de bulle est alimentée par une compréhension partielle des nouveaux outils :
- Projection « science-fiction » : beaucoup imaginent des scénarios dignes du cinéma, puis sont déçus après deux prompts qui ne résolvent pas un problème complexe d’emblée
- Exemples médiatiques simplifiés : des titres du type « ChatGPT se trompe sur la biographie de Victor Hugo » marquent les esprits mais occultent la réalité : les modèles actuels ne sont pas des bases de connaissances infaillibles ; ils génèrent du texte à partir d’un contexte et de corrélations statistiques, et doivent être encadrés (sources citées, validations, bornes de refus)
- Confusion sur les promesses : on confond un assistant probabiliste avec un système déterministe. Sans cadre, on attend l’infaillibilité d’un outil qui, par nature, nécessite des garde-fous
Résultat : attentes démesurées, déception rapide, puis discours “tout cela ne marche pas” — qui nourrit, à son tour, le récit d’une bulle. La bonne réponse n’est ni l’angélisme, ni le déni : c’est la méthode (cadrage, évaluation, fiabilité) et la pédagogie (expliquer ce que les modèles savent et ne savent pas faire, et comment les utiliser en sécurité).
3.5 Grille rapide pour distinguer le solide du superficiel
- Valeur métier : quel problème précis est résolu ? Quel KPI amélioré ?
- Données : quelles sources, quel mode d’accès (API vs scraping), quelles règles d’usage et de sécurité ?
- Qualité : quels jeux d’évaluation, quelles métriques, quels seuils d’acceptation ?
- Fiabilité : quelles validations en sortie, quelles reprises, quels logs et tableaux de bord ?
- Coût et scalabilité : trajectoire de coût par usage, routage de modèles, stratégie de contexte/cache
- Réversibilité : abstraction de fournisseur, critères de bascule de modèle, plan anti-lock-in
En l’absence de réponses concrètes à ces points, méfiance : il s’agit probablement d’une automatisation rebrandée, plus proche d’un prototype fragile que d’un produit industriel.
3.6 Automatisations : progrès réels, valeur souvent mal évaluée
Les projets d’automatisation ont, grâce aux outils d’IA, permis de traiter des tâches un peu plus complexes qu’auparavant (chaînage conditionnel, extraction semi-structurée, rédaction assistée, enrichissement de données). Toutefois, dans la majorité des cas, ces automatisations restent basiques, et leur valeur ajoutée est souvent mal évaluée.
Constats récurrents : - Complexité perçue vs. complexité réelle : beaucoup d’automatisations vendues comme « IA avancée » se limitent à quelques appels d’API et à des règles simples. Elles pourraient, dans de nombreux cas, être réalisées en quelques dizaines de minutes avec une bonne préparation de prompts et un orchestrateur léger - Prix déconnectés de l’effort : certaines entreprises acceptent de payer très cher ces solutions, parce qu’elles économisent du temps (et donc de l’argent). Mais le tarif pratiqué est fréquemment sans rapport avec l’effort réel de conception et de mise en œuvre - Stabilité ≠ sophistication : qu’une automatisation soit stable ne signifie pas qu’elle soit techniquement sophistiquée. La stabilité est nécessaire, mais elle ne justifie pas à elle seule un prix « R&D » si la logique reste élémentaire - Spécialisation revendiquée : des prestataires se présentent comme « experts IA » alors que leur contribution se limite à de la recette (enchaîner des nœuds, appeler un modèle généraliste sans maîtrise des données, de la sécurité, ni des évaluations) - Effet de dévalorisation : cette situation dévalue le travail des équipes et des chercheurs qui investissent dans des projets exigeants (fiabilité, sécurité, évaluation, optimisation) et qui font réellement progresser l’état de l’art et des pratiques
Comment mieux évaluer la juste valeur d’une automatisation : 1. Transparence du périmètre : quelles étapes exactes sont automatisées ? Quelles dépendances (APIs, LLM, connecteurs) ? 2. Temps d’assemblage vs. expertise : distinguer l’assemblage (prompts, nœuds, glue code) du travail d’ingénierie (schémas de données, validations, garde-fous, observabilité, sécurité) 3. KPI métiers et techniques : chiffrer le temps réellement économisé, l’impact sur la qualité, la latence et le coût unitaire ; fixer des seuils d’acceptation 4. Durabilité et maintenance : qui corrige quand la source change, quand le modèle évolue, ou quand un cas limite survient ? Quel plan de maintenance et avec quels SLO/SLA ? 5. Alternative low-code / prompts guidés : évaluer si une version interne (guides de prompts, gabarits, macros, scripts) couvrirait 80 % du besoin à coût marginal 6. Réversibilité : peut-on remplacer le modèle/fournisseur sans tout refaire ? Y a-t-il une abstraction et des critères de bascule ?
Principes de tarification plus sains : - Facturer l’ingénierie, pas la mythologie : valoriser la qualité des données, les garde-fous, les évaluations et la sécurité ; éviter les « forfaits IA » opaques pour des assemblages standards - Aligner prix et création de valeur : lier la rémunération à des KPI vérifiables (réduction de temps, diminution d’erreurs, disponibilité) plutôt qu’au seul nombre de nœuds ou d’appels - Documenter et transmettre : inclure de la documentation (prompts, schémas, runbooks) et un transfert de compétences pour éviter la dépendance artificielle
À retenir. Oui, l’IA a permis d’étendre le champ de l’automatisation. Mais dans la plupart des cas, on parle encore de tâches modestes dont la juste valeur doit être objectivée. Surpayer des assemblages génériques pénalise les budgets, brouille la perception de ce que l’IA peut réellement offrir et invisibilise le travail des équipes qui construisent des solutions robustes, sûres et évaluées.
4) Automatiser, oui — mais avec exigence
L’automatisation fait partie de la culture des ingénieurs : réduire les gestes répétitifs, fiabiliser, accélérer. Bien menée, elle délivre des gains nets. Mais tout ne se vaut pas :
- Une macro bien pensée ou un pipeline simple peut rendre d’énormes services sans prétendre à la “R&D”
- À l’inverse, étiqueter “IA” des enchaînements élémentaires n’en fait pas un produit. Ce qui distingue une solution sérieuse tient à la stabilité, à l’observabilité (logs, métriques) et à la capacité à passer l’échelle
5) Le mirage du « scraper tout Internet »
Autre promesse récurrente : « nous allons ratisser tout le Web grâce à l’IA pour trouver la meilleure information ». Dans les faits :
- de nombreux sites spécialisés (ex. emploi) proposent déjà des moteurs de recherche puissants
- l’approche la plus propre et durable consiste souvent à intégrer les données via API, à stocker le minimum utile, à filtrer et à rediriger l’utilisateur vers la source d’origine pour l’action
C’est précisément l’option retenue sur openllmexlorer.app : je récupère proprement une source majeure par API, je structure les éléments nécessaires dans une base de données pour mieux présenter et filtrer, puis je renvoie vers la plateforme source. Cette méthode est transparente, respectueuse des conditions d’usage, suffisante pour le cas d’usage, et plus robuste qu’un scraping massif.
6) Pourquoi l’open source compte
Face à des modèles fermés performants mais opaques, l’open source apporte :
- du contrôle (audit, adaptation, instrumentation)
- de la réversibilité (réduire le verrouillage fournisseur)
- une optimisation des coûts (choix d’hébergement, quantification, dimensionnement)
- la possibilité d’entraîner/affiner sur ses propres données
Ce n’est pas toujours la solution unique : l’hybride (mix de services propriétaires et de briques ouvertes, éventuellement auto-hébergées) est souvent un bon compromis, selon la sensibilité des données, la charge et les contraintes réglementaires.
7) Le vrai défi : fiabilité, stabilité et limites actuelles
Automatiser un formulaire simple est à la portée de tous. Le passage à l’échelle fiable est un autre métier. Les modèles peuvent halluciner, se contredire ou dévier en fonction du contexte. Les équipes sérieuses mettent en place :
- des garde-fous en entrée (filtrage, minimisation des données, politique de sécurité)
- des validations en sortie (schémas stricts, contrôles de cohérence, refus si incertitude)
- une observabilité complète (prompts, réponses, coûts, latence, échantillonnage pour audit)
- des jeux d’évaluation versionnés et des tests de non-régression
La recherche progresse sur les causes d’erreurs (architecture, entraînement, données). En attendant, la discipline d’ingénierie fait la différence.
8) L’IA comme accélérateur d’apprentissage
Au-delà des cas d’usage métier, l’IA agit comme un accélérateur d’apprentissage. Pour la programmation comme pour d’autres domaines, ces outils offrent une synthèse et des explications progressives qui permettent de gagner des semaines. Ce n’est pas magique : il faut comprendre, vérifier et travailler. Bien utilisés, ces systèmes donnent l’impression d’un « Internet v2 » : on accède plus vite à l’essentiel et l’on prototype en quelques heures ce qui prenait autrefois bien plus de temps.
9) La démarche d’openllmexlorer.app (transparente et pragmatique)
Le but d’openllmexlorer.app est de montrer, simplement, ce que l’IA permet de faire aujourd’hui. L’ambition n’est pas d’impressionner par la complexité, mais de rendre les usages accessibles: démontrer que chacun peut reproduire les projets que l’on voit souvent présentés par des « experts IA », sans connaissances avancées, à partir d’exemples clairs et guidés.
La ligne directrice est simple :
- Pragmatisme: mettre en avant ce que l’IA fait bien aujourd’hui, sans surpromesses.
- Transparence des sources: intégration API d’une source majeure, stockage minimal pour la présentation et les filtres, puis redirection vers la source d’origine.
- Pédagogie par l’exemple: des petits projets concrets, expliqués pas à pas, qui montrent comment faire sans complexité inutile ni jargon.
- Sobriété technique: éviter de manipuler des données sensibles quand ce n’est pas indispensable; durcir la sécurité (hébergement, gestion des secrets, cloisonnement) là où c’est pertinent.
Ce que ce n’est pas: une vitrine de projets « hyper poussés » avec du code très complexe, ni des versions packagées, déployées/compilées prêtes à l’emploi. L’objectif, pour le moment, est de proposer du code simple, lisible et reproductible par le plus grand nombre, afin que chacun puisse comprendre les mécanismes, adapter à son contexte et monter en compétence.
Objectif: démystifier ce qu’il est possible de faire sans huit années d’études, en valorisant la qualité d’exécution et la compréhension plutôt que le vernis marketing.
Conclusion
S’il existe une part de bulle, c’est parce qu’un écart s’est créé entre le discours et l’exécution. On a parfois présenté comme « révolutionnaires » des assemblages élémentaires, sans culture de fiabilité ni mesure. La prolifération d’offres se revendiquant “expertise IA”, mais reposant souvent sur des automatisations basiques et mal évaluées, amplifie cette perception: elle gonfle les attentes, fausse les prix et déçoit inévitablement.
Pourtant, le socle sérieux est là: recherche, ingénierie, open source et bonnes pratiques de production. La voie durable consiste à borner les usages, instrumenter la qualité, maîtriser les coûts et prendre la sécurité au sérieux, tout en distinguant clairement les assemblages opportunistes des travaux rigoureux. C’est l’approche retenue par openllmexlorer.app: pragmatisme, transparence des sources et pédagogie par l’exemple, pour montrer concrètement ce que l’IA peut faire — sans surpromettre.